Les bactériophages (ou phages) sont des virus spécifiques des bactéries. Ils sont de ce fait incapables d’infecter des cellules eucaryotes. Il existe ainsi une multitude de bactériophages qui n’ont qu’un seul type de bactérie hôte. Leur génome peut être à ADN ou ARN et est contenu dans des capsides. Ils mesurent de 25 à 200 nm, soit considérablement moins qu’une bactérie.
Lors de leur découverte en 1917 par Félix d’Hérelle, microbiologiste français, celui-ci vit tout de suite l’intérêt qu’ils pourraient présenter pour le traitement de certaines maladies infectieuses telle que la dysenterie, infection du côlon. Il créa ainsi la phagothérapie. En effet, les bactéries peuvent être la cause de nombreuses maladies infectieuses comme la pneumonie, les infections intestinales, ou bien des blessures qui s’infectent. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, la phagothérapie est délaissée en raison de la découverte des antibiotiques qui ont rapidement fait leurs preuves, le premier étant la pénicilline, utilisée pour la première fois en 1941.
L’utilisation massive d’antibiotiques depuis une cinquantaine d’années induit une pression de sélection très forte sur les bactéries. Seules les bactéries possédant des gènes de résistance aux antibiotiques peuvent survivre, se reproduire et transmettre ces gènes de résistance à leurs descendants. Les populations de bactéries deviennent, par ce processus de sélection naturelle, de plus en plus résistantes aux antibiotiques. C’est ce qu’on appelle l’antibiorésistance. Ainsi, les antibiotiques sont de moins en moins performants et cela pose un réel problème autant en santé publique que dans l’élevage, puisque énormément d’animaux sont soignés aux antibiotiques et que sans eux tout un élevage pourrait être infecté et décimé. Il en va de même pour l’agriculture.
Il y a alors un regain d’intérêt pour les bactériophages, qui semblent être des alliés de taille dans la lutte anti-bactérienne.
Les virus, dont font partie les bactériophages, ne possèdent pas de mécanisme de réplication de leur génome et doivent donc infecter un hôte, en l’occurrence des bactéries, pour se reproduire. Lors de la contamination de la bactérie, l’ADN du phage est intégré au génome bactérien ou réside sous forme plasmidique dans la bactérie. Dans les deux cas, il est répliqué avec le génome bactérien lorsque la bactérie se divise. Le génome de la bactérie est alors changé et les gènes apportés par le phage peuvent être bénéfiques (virulence par exemple). C’est ce qu’on appelle le cycle lysogénique, durant lequel le phage est en dormance. Il ne provoque pas la lyse de la cellule, ne tue pas la bactérie et ne sort pas de son hôte. Lors de stress physiologiques de la bactérie, le phage va entrer dans un cycle lytique, lors duquel il sort de sa dormance. Son ADN est introduit dans des capsides et la lyse, c’est-à-dire la mort de la cellule bactérienne, est enclenchée, libérant les nouveaux phages qui ont été répliqués. Comme le cycle lysogénique peut être long et qu’il est préférable d’éviter les échanges de matériel génétique entre bactéries et phages, seuls les phages possédant uniquement un cycle lytique vont être utilisés en phagothérapie.
Il existe plusieurs approches modernes de la phagothérapie :
Tout d’abord l’approche conventionnelle, qui utilise des phages naturels pour lyser les bactéries responsables de maladies infectieuses. On peut également utiliser des phages modifiés. En effet, il est possible de modifier génétiquement des phages naturels. On peut ainsi combiner des caractéristiques de plusieurs phages, telles que la spécificité d’un phage avec la virulence d’un autre, pour en faire de vraies armes contre les bactéries. Il est possible d’utiliser des protéines dérivées de phages, comme des enzymes servant à la dégradation de la membrane cellulaire lors de la lyse de la bactérie. Il peut enfin être envisagé de combiner des traitements aux antibiotiques avec des phages.
Un des grands avantages des bactériophages est leur spécificité, qui permet d’atteindre une bactérie particulière sans conséquences sur des communautés diversifiées telles que le microbiote digestif. Ils sont également capables de se multiplier in situ, et donc leur concentration augmente au niveau du foyer infectieux, ce qui n’est pas le cas des antibiotiques.
Les bactéries sont capables de développer des gènes de résistance aux bactériophages, comme pour les antibiotiques, mais les bactériophages sont eux aussi capables d’évoluer en parallèle pour contourner les mécanismes de résistance des bactéries, ce qui n’est pas le cas des antibiotiques. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de bien les étudier et de les tenir à l’œil.
Les antibiotiques sont de formidables atouts contre les infections, mais l’antibiorésistance oblige les chercheurs à trouver de nouveaux alliés antibactériens. La phagothérapie semble être incontournable dans le futur, mais il reste encore de nombreuses recherches à faire pour envisager une utilisation massive.
QUENTIN Lorenza
Sources :
- Fathima, Bibi, et Ann Catherine Archer. « Bacteriophage Therapy: Recent Developments and Applications of a Renaissant Weapon ». Research in Microbiology 172, no 6 (1 septembre 2021): 103863. https://doi.org/10.1016/j.resmic.2021.103863.
- Dufour, Nicolas, et Laurent Debarbieux. « La phagothérapie – Une arme crédible face à l’antibiorésistance ». médecine/sciences 33, no 4 (1 avril 2017): 410‑16. https://doi.org/10.1051/medsci/20173304011.
- Prevel, R., et N. Dufour. « Potentialités des bactériophages pour l’infectiologie moderne ». La Revue de Médecine Interne 37, no 10 (1 octobre 2016): 657‑60. https://doi.org/10.1016/j.revmed.2016.05.002.
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