Les neurones miroirs

En sciences, nombreuses sont les anecdotes racontant des découvertes faites par hasard et dont les chercheurs ont su comprendre leur utilité immédiatement. Parmi les plus connues on retrouve la pomme d’Isaac Newton ou bien la pénicilline d’Alexander Fleming. En 1990, cette longue liste de découvertes fortuites fut complétée par  Giacomo Rizzolatti, un neuroscientifique italien, qui découvrit une nouvelle classe de neurones. Au nombre approximatif de 100 milliards, les neurones sont les unités fonctionnelles de notre système nerveux et se divisent en plusieurs types. Parmi eux, les neurones moteurs : des cellules capables de véhiculer et commander des informations relatives aux mouvements. 

Afin de les étudier, le docteur Rizzolatti entreprit une expérience où il enregistra l’influx nerveux de moto-neurones spécifiques chez le singe lorsqu’il tendait le bras pour attraper une cacahuète. Laissant l’enregistrement continuer, le chercheur tendit à son tour son bras pour prendre une graine et bien que le singe resta parfaitement immobile, un influx nerveux apparut sur l’électroencéphalogramme, modélisant l’activité de neurones dits « miroirs », jusqu’alors inconnus. 

La particularité des ces cellules est qu’elles sont capables de décharger des potentiels d’action lorsque nous réalisons un mouvement mais aussi quand nous observons une autre personne le faire.
Les techniques de neuro-imagerie ont alors permis d’identifier le même système de résonance motrice chez l’Homme et donc de prouver qu’il existait un  réseau cérébral reliant l’observation avec l’exécution d’une action. Ceci tente alors d’expliquer le processus d’apprentissage par imitation d’autrui, qui est le fondement même de la civilisation humaine. 

L’Homo sapiens, bien qu’étant apparu il y a environ 300 000 ans, acquit la compétence de l’imitation de ses paires, seulement 200 000 ans plus tard. Ainsi l’enseignement de la maîtrise du feu, de l’usage d’outils et du langage, correspondent selon les experts en neurosciences et en phylogénétique à l’émergence d’un réseau sophistiqué de neurones miroirs, permettant non seulement de reproduire une action mais aussi de comprendre son but

C’est en 2004 que le docteur Hugo Théoret entreprend l’étude de ce circuit neuronal aux travers d’expériences diverses. L’une d’elle consiste à montrer à un individu des portraits de personnes exagérants des expressions faciales afin de mesurer l’activité musculaire au niveau des sourcils et de la bouche ainsi que l’activité électrique du cortex cérébral. Outre une faible activation des muscles faciaux mimant la joie et la colère que pouvait effectuer inconsciemment l’individu observateur, l’activité enregistrée par l’électroencéphalogramme était quant à elle intense : le cerveau ne contrôle pas seulement la contraction, il reproduit l’émotion visualisée

Les neurones miroirs s’activent donc quand on voit une personne faire une action mais aussi quand on la voit ressentir. 

Par exemple, si l’on observe une personne se touchant le bras, nous serons dans la capacité de comprendre si elle se gratte, se caresse ou se pince mais également de nous imaginer la sensation que cela pourrait lui procurer. C’est grâce aux informations envoyées par nos récepteurs sensoriels à la surface de notre peau, que nous sommes également en mesure de comprendre que nous ne sommes pas réellement en train d’expérimenter un contact physique. Cependant, si on anesthésie ces mêmes récepteurs extéroceptifs à un sujet, il ressentira sur son propre bras la sensation du touché. C’est ce que le grand neuroscientifique Vilayanur S. Ramachandran a démontré grâce à ses travaux sur la plasticité cérébrale se mettant en place chez des patients amputés. Grâce à ceux-ci, il a élaboré une thérapie « miroir » contre la douleur ressentie dans les membres fantômes : observer une tierce personne se masser le même membre qui leur manque, soulage considérablement leurs maux.

Le Docteur Ramachandran met alors le point sur autre chose d’intéressant. Tout ce qui nous sépare de l’autre, de ses émotions et de ses ressentis, ne sont que des barrières physiologiques facilement inhibables. Les neurones miroirs arrivent à établir une connexion avec les neurones d’autrui qui nous permettent de comprendre l’autre et ainsi d’éprouver de l’empathie.
Des chercheurs de l’université de Stony Brook, se sont alors intéressés à ce lien de compassion et ont mis en évidence grâce à l’IRMf une surexpression très marquante et continuelle des neurones miroirs chez les hypersensibles. Les personnes diagnostiquées comme telles, présentent un seuil d’activation plus bas que la moyenne aux stimuli externes comme le son, les odeurs, la lumière ou encore les émotions véhiculées par leur entourage. Un décalage émotionnel évident est alors ressenti par ces « éponges émotives », face au monde extérieur qui n’arrive pas à comprendre l’intensité de leurs sensations. En accord avec ses collègues New-Yorkais, le docteur Théoret soutient à l’aide de ses travaux, qu’à l’inverse, une activité moindre de ces neurones miroirs seraient une des causes évidentes de l’autisme. 

Pour citer V.S. Ramachandran « le cerveau est un morceau de chair que vous pouvez tenir dans la paume de votre main mais qui peut appréhender l’immensité de l’espace interstellaire ». 

Les recherches en neurosciences sur les neurones miroirs s’intensifient pour essayer de comprendre les mécanismes physiologiques responsables de ces liens sociaux, d’amour et de conscience qui nous font sentir en symbiose avec le vivant qui nous entoure.

Article écrit par Manel Berkemal

Bibliographie :