L’animal (sordide) du jour

Phronima sedentaria

CARTE D’IDENTITÉ

Nom: Le Phronima sedentaria, autrement désigné sous le nom vernaculaire de Tonnelier des mers est un crustacé qui fait partie de la famille des Amphipodes, ordre caractérisé par une absence de carapace chez les individus.

Habitat: Cette espèce est présente en quantité importante dans toutes les mers tempérées et tropicales du monde, des chaudes eaux des Caraïbes jusqu’à celles plus tempérées de la Manche.

Taille: Il existe un dimorphisme sexuel assez important au sein de cette espèce : en effet, si les mâles peinent à dépasser le centimètre, ce n’est pas le cas des femelles dont la taille peut atteindre les 4 cm, soit des mensurations quatre fois plus imposantes.

Mode de vie: La profondeur à laquelle cette espèce vit dépend de la présence ou non du soleil : les individus passent la journée entière à une profondeur de plusieurs centaines de mètres mais une fois la nuit venue, ils remontent vers la surface. Ce sont des animaux carnivores qui se nourrissent de zooplancton et de macroplancton avec notamment la consommation de méduses ou encore de siphonophores. Les individus peuvent muer plusieurs fois au cours de leur vie.

CE QU’IL FAUT RETENIR SUR L’ANIMAL EN QUESTION POUR DRAGUER… OU PAS

A ce stade de l’article, il est tout à fait légitime et on ne peut plus normal de se poser la question suivante : pourquoi donc évoquer cet animal en apparence très ordinaire tandis que nos mers et océans regorgent d’animaux tous plus étonnants les uns que les autres ? De l’impressionnant Calamar Géant ayant inspiré le célèbre écrivain nantais lors de la rédaction de “Vingt mille lieues sous les mers” à l’extravagante crevette mante-paon qui relègue le flamant rose et sa robe pourpre au rang d’animal sobre et insipide, il est certain que les exemples de curiosités morphologiques ne manquent pas lorsqu’il s’agit des créatures qui peuplent nos eaux. 

Cependant, c’est de son mode de vie et non de sa constitution physique que cet animal tire son originalité : en effet, cette créature à la fâcheuse habitude de dévorer le corps de sa victime de l’intérieur afin de s’en faire une habitation durable et fonctionnelle, et ce, en utilisant les parties les plus dures et résistantes de la feu proie.  
Le résultat final constitue en un “tonneau” de gélatine ouvert aux deux extrémités et auquel de la matière organique va pouvoir être ajoutée petit à petit afin que le volume du tonneau évolue de la même manière que le volume de l’hôte, rendant ainsi l’habitat durable et faisant du Phronima sedentaria un parfait animal écolo.     

La frontière entre la simple prédation et le parasitisme est dans le cas présenté bien mince : en effet, c’est le cadavre d’un animal qui sert d’hôte et non pas un organisme doté de ses fonctions biologiques et métaboliques, on préfère alors désigner le tonnelier des mers comme un parasitoïde car c’est une relation qui entraîne inéluctablement la mort de l’hôte.
Le questionnement qui découle logiquement à la suite de l’évocation de ce mode de vie particulier pourrait être formulé en ces termes : mais pourquoi faire de sa proie une maison au lieu de la consommer simplement comme il est de mise chez la quasi-intégralité des prédateurs ? 

Si ce comportement a perduré au cours de l’évolution de cet organisme, ce n’est pas pour l’architecture soignée ni le confort du logement mais bien pour sa grande praticité.
Ce tonneau organique a en fait de nombreux avantages et intérêts : premièrement, il permet à son habitant de se dissimuler aux yeux de ses prédateurs naturels (des poissons principalement) qui n’apprécient guère la texture gélatineuse du tonneau, empêchant ainsi sa prédation. Dans un second temps, le tonneau participe également à la pérennité de l’espèce en constituant pour les oeufs de la mère un abri idéal : quelque temps après la reproduction (sexuée), la femelle pond une centaine d’oeufs qu’elle va venir fixer sur la paroi interne du tonneau, permettant en plus d’une bonne protection une oxygénation optimale des oeufs rendue possible par les mouvements d’eau. Les possibilités permises par cet ingénieux système pourraient s’arrêter là mais il en demeure une que nous n’avons pas encore soumise à votre esprit attentif, il s’agit de la facilitation de la capture de proies et l’alimentation en général. Tapi dans son tonneau comme le lion dans les hautes herbes subsahariennes, le petit crustacé n’a qu’à attendre le passage d’une méduse naïve ou d’une salpe aventurière à proximité de son antre pour fondre dessus et s’en délecter, sans même devoir sortir de sa hutte. Mais la fonction nourricière ne s’arrête pas là : en effet, le petit animal peut revisiter le célèbre conte des frères Grimm et dévorer sa maison flottante en cas de pénurie de nourriture, comportement souvent observé dans le cadre d’une captivité.  

Si nous avons choisi cet organisme, c’est avant tout pour illustrer le fait suivant : même si un animal semble fade et ordinaire lorsqu’on s’y intéresse de manière superficielle, il peut en réalité devenir fascinant quand on prend le temps de s’intéresser aux stratégies qu’il déploie pour sa survie et celle de ses descendants, il suffit de faire preuve d’un peu de curiosité pour avoir la chance de découvrir une nouvelle facette jusque là méconnue d’un organisme et le considérer différemment. Et si cette conclusion ne vous satisfait pas, la légende veut que Ridley Scott se soit inspiré de Phronima sedentaria pour créer la célèbre créature qui terrorise l’équipage du film Alien.

Article écrit par Gabriel Friob

Sources :

  • MAYOUX Alain, MAYOUX Maud, NOËL Pierre, DIDIERLAURENT Sylvie in : DORIS, 21/04/2020 : Phronima sedentaria (Forskål, 1775), https://doris.ffessm.fr/ref/specie/3566
  • Laval P., 1968, Observations sur la biologie de Phronima curvipes Voss. (amphipode hypéride) et description du mâle adulte, Cahier de Biologie Marine, 10, 347-362.
  • https://www.mer-littoral.org/24/phronima-sedentaria.ph
  • Source photographie : https://doris.ffessm.fr/var/doris/storage/images/images/phronima_sedentaria-vs2/12304935-1-fre-FR/phronima_sedentaria-vs2_image1200.jpg