Qui n’a jamais entendu parler de ce jeu ? Que soit sous le nom de pierre-feuille-ciseaux ou de ChiFuMi, ce jeu bien connu des enfants est souvent utilisé pour régler des différents ou pour déterminer qui sera vainqueur d’une compétition.
Mais qui pourrait penser que cela puisse également être le cas dans la nature ? En quoi ce jeu peut il définir une nouvelle approche de reproduction chez certaines espèces ? Nous allons vous faire découvrir les secrets de ce jeu, mais d’abord rappelons les règles.
Ce jeu populaire, qui serait apparu en Chine sous la période Ming (1368-1644) [1], est un jeu de mains, reposant sur l’utilisation de 3 symboles (ou plus selon les variantes). Chaque symbole domine et est dominé par les 2 autres. Ainsi dans le cas classique, la pierre casse les ciseaux, les ciseaux coupent la feuille, et la feuille recouvre la pierre.
Ce système tertiaire repose sur ce que les mathématiciens appellent une stratégie mixte [2] : chaque élément possède une probabilité qui est égale à 1/3. La théorie mathématique voudrait que, si on tend à l’infini l’expérience, le résultat s’uniformise et seul un symbole domine.
Mais la nature nous prouve que, en réalité, les trois cas coexistent dans un environnement donné. C’est le cas remarquable d’une espèce de petit lézard d’Amérique du Nord, vivant dans les zones arides du Sud-Ouest Uta stansburiana [3] ou lézard à flanc maculé. La première description de ce modèle RPS (Rock-Paper-Scissors) fut décrit dans un article publié dans la revue Nature, en 1996 [4].
Chez cette espèce, les mâles matures possèdent trois phénotypes différents.
Les mâles à gorge orange (O) ont un large territoire avec un harem de plusieurs femelles, ils vont être battu par les mâles à bandes jaunes (Y pour Yellow), qui imitent l’apparence et le comportement des femelles afin de se reproduire, malgré l’absence de territoire propre. Les mâles Y ne pourront, en revanche, pas se reproduire avec les femelles des mâles à gorge bleue (B), qui ont un territoire restreint et qui coopèrent entre eux. Cela n’empêchera pas les mâles O de se reproduire avec les femelles des mâles B, en utilisant la force.
A l’équilibre, le modèle devrait reposer sur la stratégie évolutivement stable, ou ESS (Evolutionarily Stable Strategy)[5], qui correspond à une stratégie optimale pour l’individu : lorsqu’une population a adopté cette stratégie, alors il n’est plus possible d’adopter une autre stratégie évolutive.
Mais, chez Uta stansburiana, les chercheurs ont observé une alternance cyclique de la prédominance d’une des trois formes au cours du temps : on passe d’une fréquence importante de mâles B, à une haute fréquence de mâles O, puis une importance de Y, pour revenir avec B. Chaque stratégie n’est donc pas évolutivement stable, et repose sur une dynamique oscillatoire.
Une étude plus récente de 2007 [6] introduit le nouveau terme de EEES (Evolutionarily stable social system), qui représente non plus une seule stratégie optimale mais l’ensemble optimale de stratégies utilisé dans une population, afin de modéliser les systèmes cycliques.
Le pierre-feuille-ciseaux ne consiste donc pas que en un amusement pour petits et grands, les scientifiques s’appuient dessus afin de réaliser de nouveaux modèles d’écologie évolutive, et de cerner au mieux toutes les formes d’évolutions adaptatives possibles.
Pour approfondir : Modèle RPS chez la mécanique de protection chez les E. coli
Article rédigé par Doreen Poirot-Boyer
Bibliographie :
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-papier-ciseaux[2] https://interstices.info/pierre-feuille-ciseaux/
[3]Site de l’IUCN (International Union for Conservation of Nature) https://www.iucnredlist.org/species/64180/12744259
[4]B. Sinervo & C.M. Lively, The rock-paper-scissors game and the evolution of alternative male strategies, Nature 380, p240 (1996)
[5] GÉNÉTIQUE ÉVOLUTIVE ET THÉORIE DES JEUX par Isabelle OLIVIERI et Pierre-Henri GOUYON
http://isyeb.mnhn.fr/sites/isyeb/files/documents/Theorie_des_jeux-minipoly.pdf
[6]Sinervo, Barry & Heulin, Benoit & Surget-Groba, Yann & Clobert, Jean & Miles, Donald & Corl, Ammon & Chaine, Alexis & Davis, Alison. (2007). Models of Density‐Dependent Genic Selection and a New Rock‐Paper‐Scissors Social System. The American naturalist. 170. 663-80. 10.1086/522092.
https://sciencetonnante.wordpress.com/2012/04/30/pierre-feuille-ciseaux-chez-les-animaux/
https://www.science-et-vie.com/nature-et-enviro/le-lezard-a-flancs-macules-pourquoi-existe-t-il-chez-ce-reptile-trois-facons-de-seduire-16793